Rapport sur le cas - Service correctionnel du Canada (mars 2020)

Conclusions du commissaire à l’intégrité du secteur public dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles

Rapport sur le cas - Service correctionnel du Canada (mars 2020)
Texte de la déclaration vidéo

Bonjour. Je suis Joe Friday, le commissaire à l’intégrité du secteur public du Canada.

J’aimerais vous faire part des conclusions d’un cas fondé d’actes répréhensibles concernant le Service correctionnel du Canada, que j’ai présenté au Parlement.

À la suite d’une divulgation, j’ai lancé une enquête relativement à plusieurs incidents survenus en 2017 et 2018 au Centre régional de santé mentale de l’Établissement Archambault, au Québec. Une fois l’enquête terminée, j’ai conclu que le SCC avait commis une grave erreur de gestion, et que l’organisation avait créé un danger important et précis pour la vie, la santé et la sécurité d’une employée.

Les enquêteurs du Commissariat ont rencontré 28 témoins et ils ont examiné de nombreux documents et enregistrements vidéo. La preuve démontre que, sur une période d’un an, un groupe d’agents correctionnels du Centre régional de santé mentale ont commis des actes répétés d’insubordination et de harcèlement et qu’ils n’ont pas assuré la sécurité des employés. En réaction, le SCC n’a pris que peu ou pas de mesures et des incidents graves ont continué à se produire. Ces incidents ont mis en danger la sécurité des employés et ils ont entravé la capacité du Centre à remplir son mandat.

L’insubordination de ce groupe d’agents correctionnels s’est produite à plusieurs reprises, comme lors de l’abandon d’un poste par un agent correctionnel, ce qui a eu comme conséquence de laisser plusieurs employés embarrés avec des détenus. Notons aussi la falsification d’une note de service officielle concernant le recours à la force, ainsi que l’empêchement pour les employés d’administrer des médicaments aux détenus.

Le harcèlement continu de plusieurs employés comprenait l’affichage de matériel à connotation raciste qui est resté à la vue des employés pendant des mois, le dénigrement du travail des employés du Centre régional de santé mentale, ainsi que le ciblage d’une employée dans le but de la pousser à démissionner.

Sur une période de plusieurs mois, une employée qui souffrait d’une allergie aux fruits de mer potentiellement mortelle a été victime de harcèlement. Sa sécurité a aussi été mise en danger lorsque certains agents correctionnels ont refusé de se conformer aux règles qui interdisaient les allergènes sur son lieu de travail. En plus d’ignorer l’interdiction, ces agents ont activement cherché des occasions d’apporter des fruits de mer sur les lieux de travail – notamment, en organisant une soirée sushi. Au cours de cette soirée, quelqu’un a donné un masque à gaz à l’employée en lui disant : « Tu mets ça ou tu crèves ce soir. »

L’enquête démontre que ces agissements découlaient de problèmes systémiques, et non d’incidents isolés, et que ces problèmes étaient le résultat d’un environnement de travail dans lequel un groupe d’agents correctionnels se sentaient libres de faire preuve d’insubordination avec peu ou pas de conséquences. Le SCC n’a pas veillé à ce que ces agents exécutent leurs fonctions et, par conséquent, l’organisation a mis en danger la sécurité des employés.

Pour terminer, les incidents décrits dans ce rapport ont conduit deux employées du Centre régional de santé mentale à prendre un congé de maladie. L’une a aussi démissionné. De plus, il y a eu une rupture du lien de confiance entre les employés du Centre et les agents correctionnels qui y travaillent, mettant en danger la capacité du Centre à remplir son mandat.

Dans un environnement intrinsèquement dangereux tel qu’un pénitencier, l’employeur doit être encore plus vigilant pour assurer la sécurité des employés. J’espère que ce rapport pourra servir à rappeler que tous les employés ont droit à un lieu de travail sain et sécuritaire et que les réponses aux comportements inacceptables doivent être rapides et efficaces.

Ce document est également disponible en version PDF.

ISBN : 978-0-660-33949-8



Lettres

L’honorable George J. Furey, c.r.
Président du Sénat
Le Sénat
Ottawa (Ontario)
K1A 0A4

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous présenter le Rapport sur le cas concernant les conclusions du Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada dans le cadre d’une enquête sur une divulgation d’actes répréhensibles à l’encontre du Service correctionnel du Canada, rapport qui doit être déposé au Sénat conformément aux dispositions du paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.

Le rapport fait état des conclusions concernant les actes répréhensibles, des recommandations faites à l’administrateur général, de mon avis quant au caractère satisfaisant ou non de la réponse de l’administrateur général relativement aux recommandations et des commentaires écrits de l’administrateur général.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.

L'original signé par Joe Friday
Commissaire à l’intégrité du secteur public
Ottawa, mars 2020


L’honorable Anthony Rota, député
Président de la Chambre des communes
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)
K1A 0A6

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous présenter le Rapport sur le cas concernant les conclusions du Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada dans le cadre d’une enquête sur une divulgation d’actes répréhensibles à l’encontre du Service correctionnel du Canada, rapport qui doit être déposé à la Chambre des communes conformément aux dispositions du paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.

Le rapport fait état des conclusions concernant les actes répréhensibles, des recommandations faites à l’administrateur général, de mon avis quant au caractère satisfaisant ou non de la réponse de l’administrateur général relativement aux recommandations et des commentaires écrits de l’administrateur général.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.

L'original signé par Joe Friday
Commissaire à l’intégrité du secteur public
Ottawa, mars 2020

Avant-propos

Le présent rapport sur le cas d'actes répréhensibles a été déposé devant le Parlement conformément à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (la Loi). Le rapport contient les résultats d’une enquête menée à l’Établissement Archambault du Service correctionnel du Canada (SCC) dans la région du Québec.

La Loi a été créée pour fournir un mécanisme de dénonciation confidentiel au sein du secteur public fédéral. Le régime de divulgation établi par la Loi vise non seulement à déceler les actes répréhensibles lorsqu’ils se produisent et à prendre des mesures correctives pour y mettre fin; il sert aussi de moyen de dissuasion à l’échelle du secteur public fédéral. Voilà pourquoi la Loi exige que les cas d’actes répréhensibles avérés soient signalés au Parlement. Il s’agit d’un puissant outil de transparence et de responsabilité à l’égard du public.

À la suite d’une divulgation au Commissariat, j’ai lancé une enquête relativement à des allégations selon lesquelles le SCC a négligé de prendre des mesures adéquates pour mettre un terme à l’insubordination de plusieurs agents correctionnels ainsi qu’au harcèlement et à l’intimidation par ceux-ci à l’égard d’autres employés au Centre régional de santé mentale (CRSM), à l’Établissement Archambault.

Étant donné la nature systémique des incidents identifiés dans ce rapport, je vais m’attarder à la responsabilité globale du SCC dans cette affaire au lieu de me pencher sur la responsabilité personnelle des divers agents correctionnels potentiellement impliqués dans ces inconduites, puisqu’une telle détermination de responsabilité relève de la commissaire du SCC et fait l’objet d’une de mes recommandations. Bien que les actes commis par ces agents correctionnels soient tout à fait inacceptables, il importe de souligner que l’incapacité du SCC de réagir adéquatement aux incidents qui se sont produits dans le CRSM est un grave manquement à la responsabilité de l’employeur d’offrir un milieu de travail sain et sécuritaire à tous les employés. Ces incidents ont également miné la capacité du CRSM dans l’exécution de son mandat opérationnel en mettant la sécurité des employés à risque.

Je souhaite que le présent rapport puisse servir de rappel que les organisations ont le devoir d’offrir un milieu de travail sain et sécuritaire à tous les employés et que la réaction aux comportements inacceptables doit être prompte et efficace.

Joe Friday
Commissaire à l’intégrité du secteur public

Mandat

Le Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada (le Commissariat) contribue à renforcer la reddition de comptes et à accroître la surveillance des activités du gouvernement :

  • en fournissant un processus indépendant et confidentiel pour recevoir les divulgations d’actes répréhensibles au sein du secteur public fédéral, ou concernant ce dernier, reçu des fonctionnaires et le grand public, et pour faire enquête sur celles‑ci;
  • en déposant au Parlement des rapports sur les cas d’actes répréhensibles avérés et en formulant des recommandations de mesures correctives aux administrateurs généraux; et
  • en offrant un mécanisme qui vise à traiter les plaintes de représailles reçues des fonctionnaires et des anciens fonctionnaires dans le but de résoudre la situation, y compris par l’entremise de la conciliation et des renvois de cas au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs.

Le Commissariat est un organisme indépendant créé en 2007 dans le but de mettre en œuvre la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi).

L’article 8 de la Loi définit ainsi les actes répréhensibles :

  1. la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente loi;
  2. l’usage abusif des fonds ou des biens publics;
  3. les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;
  4. le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;
  5. la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;
  6. le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).

La Loi prévoit que les enquêtes menées sur une divulgation ont pour objet de porter l’existence d’actes répréhensibles à l’attention de l’administrateur général de l’organisme concerné et de lui recommander des mesures correctives.

La divulgation

Le 28 octobre 2018, le Commissariat a reçu une divulgation d’actes répréhensibles à l’égard de plusieurs incidents impliquant des agents correctionnels au Centre régional de santé mentale (CRSM), lequel est annexé à l’Établissement Archambault, au complexe de Sainte-Anne-des-Plaines, dans la province de Québec. À titre de commissaire, j’ai lancé une enquête relativement au fait que le SCC aurait omis de prendre des mesures adéquates reliées aux actions et aux comportements des agents correctionnels. L’enquête portait sur les événements survenus au cours d’une période d’un an, en 2017‑2018.

Vue d’ensemble de l’organisation

Le CRSM est un établissement à niveaux de sécurité multiples qui, selon le SCC, traite des détenus ayant divers besoins en santé mentale. Cela comprend des détenus atteints de troubles mentaux et de troubles de la personnalité. On y trouve aussi des détenus ayant besoin de soins continus et des détenus ayant de multiples problèmes de santé mentale.

Les agents correctionnels relèvent de la direction de l’Établissement Archambault (la direction d’Archambault) et les employés du CRSM relèvent de la direction du CRSM, mais tous sont des employés du SCC. Les agents correctionnels affectés au CRSM sont chargés d’assurer la sécurité des détenus, des employés et des installations.

Résultats de l’enquête

L’enquête a révélé ce qui suit :

  • Le SCC a commis l’acte répréhensible prévu à l’alinéa 8c) de la Loi (cas grave de mauvaise gestion) en négligeant de prendre des mesures adéquates dans la foulée de plusieurs incidents sérieux de comportements inappropriés par un groupe d’agents correctionnels, à savoir :
    • des actes d’insubordination;
    • le défaut d’assurer la sécurité des employés du CRSM; et
    • le harcèlement d’employés.
  • Le SCC a également créé un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines d’une employée, un acte répréhensible prévu à l’alinéa 8d) de la Loi, lorsqu’il a négligé de prendre des mesures adéquates pour empêcher un groupe d’agents correctionnels de mettre délibérément à risque la vie ou la santé d’une employée souffrant d’une allergie potentiellement mortelle.

Aperçu de l’enquête

L’enquête a été menée par deux enquêteurs principaux du Commissariat : M. Alain Joanisse et M. Christian Santarossa. Dans le cadre de l’enquête, ils ont rencontré 28 témoins et passé en revue de nombreux documents et enregistrements vidéo.

Le SCC et son personnel ont collaboré avec les enquêteurs comme l’exige la Loi.

Conformément à son obligation de veiller à ce que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale soient respectés, le Commissariat a offert au SCC la possibilité pleine et entière de répondre aux allégations en lui présentant un rapport d’enquête préliminaire auquel, en réponse, il pouvait soumettre des commentaires.

Au moment de formuler mes conclusions sur l’enquête, j’ai soupesé tous les renseignements obtenus pendant celle-ci, y compris les commentaires soumis par le SCC en réponse au rapport d’enquête préliminaire.

Facteurs pris en considération pour conclure à l’existence d’un acte répréhensible

Cas graves de mauvaise gestion

Lorsqu’il enquête sur une allégation de cas grave de mauvaise gestion au sens de l’alinéa 8c) de la Loi, le Commissariat tient notamment compte des facteurs suivants :

  • des problèmes importants;
  • de graves erreurs non sujettes à débat entre des personnes raisonnables;
  • des actes dépassant le simple acte répréhensible ou la simple négligence;
  • des actes ou des omissions de la gestion qui créent un risque important de conséquences néfastes graves sur la capacité de l’organisme, du bureau ou de la section de s’acquitter de sa mission;
  • des actes ou des omissions de la gestion qui représentent une grave menace pour la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, et il ne s’agit pas principalement d’une affaire de nature personnelle telle qu’une plainte individuelle de harcèlement ou un grief individuel relatif au milieu de travail;
  • la nature intentionnelle de l’acte; et
  • la nature systémique de l’acte répréhensible.

Risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines

Pour déterminer si une action ou une omission cause un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire aux termes de l’alinéa 8d) de la Loi, il faut tenir compte de ce qui suit :

  • Ce type d’acte répréhensible renvoie à une situation sérieuse dans laquelle les adjectifs « grave » et « précis » sont l’expression claire de l’intention du législateur voulant que les situations moins graves – celles où la possibilité de causer un danger est moins évidente – ne constituent pas un « acte répréhensible » selon la Loi.
  • Le « risque » s’entend d’une exposition à ce qui est susceptible de causer une blessure, une souffrance, un préjudice ou une perte.

Résumé des conclusions

L’information obtenue dans le cadre de l’enquête démontre qu’un groupe d’agents correctionnels assignés au CRSM affichaient ouvertement leur manque de respect à l’égard des autres employés et dénigraient les règles et les procédures en place. Ce comportement irrespectueux et méprisant s’est manifesté lors d’incidents d’inconduite graves.

Ciblage d’une employée

Vers la fin de 2017, une psychologue travaillant au CRSM a obtenu la permission de recevoir des détenus en entrevue dans son nouveau bureau. Malgré le consentement de la direction d’Archambault à ce moment‑là, certains agents correctionnels ont refusé de se conformer à cette procédure, ce qui a mené à plusieurs incidents graves :

  • Certains agents correctionnels ont déclaré devant les membres de la gestion qu’ils se « foutaient » de la sécurité des autres et que seule leur propre sécurité comptait.
  • Même si la psychologue avait obtenu l’autorisation, deux agents correctionnels l’ont prise à partie dans son bureau pour lui dire : « Qu’est-ce que t’as pas compris? Tu sais que tu ne peux pas faire d’entrevues dans ton bureau. [Un agent correctionnel] te l’a dit… ».
  • Une autre employée du CRSM est intervenue et a dit aux agents correctionnels que leur comportement envers la psychologue était inacceptable, ceux‑ci lui ont dit de se mêler de ses affaires et l’ont traitée de « stool » lorsqu’elle a informé la direction du CRSM de la situation.
  • Certains agents correctionnels ont menacé d’expulser la psychologue de son bureau, ont refusé d’escorter des détenus vers son bureau et ont placé sur sa porte une note selon laquelle les entrevues y étaient interdites.

À la suite des incidents décrits plus haut, la direction d’Archambault a donné un avertissement verbal à l’une des agents correctionnels et a distribué une note officielle confirmant que les entrevues étaient effectivement permises dans le bureau de la psychologue. Malgré l’intervention de la direction, le harcèlement ciblé et les actes d’insubordination se sont poursuivis (voir la description ci‑dessous).

Abandon de poste

L’un des incidents les plus graves concernait l’abandon, par un agent correctionnel, de son poste. Les éléments de preuve démontrent qu’en janvier 2018, un agent correctionnel chargé d’assurer la sécurité des activités et des employés dans le CRSM a délibérément abandonné ses fonctions en guise de protestation contre la décision de la direction d’autoriser la psychologue à tenir des entrevues dans son bureau. Au moment de l’événement, un de ses collègues a encouragé l’agent correctionnel à prendre cette mesure. L’abandon par l’agent correctionnel de son poste a eu les conséquences immédiates suivantes :

  • Plusieurs employés du CRSM étaient embarrés avec des détenus dans leur bureau sans que personne soit présent pour assurer leur sécurité.
  • Un infirmier était embarré sans protection dans le secteur des détenus.
  • Lorsque l’agent correctionnel en question est revenu sur les lieux pour laisser sortir l’infirmier, il a négligé de verrouiller la barrière de sécurité, permettant ainsi aux détenus de circuler librement entre leur secteur et le CRSM. Heureusement, un détenu a pris l’initiative de veiller à ce qu’aucun autre détenu ne franchisse la barrière de sécurité déverrouillée.

Il s’est écoulé une trentaine de minutes avant qu’un gestionnaire correctionnel arrive sur les lieux pour libérer les employés des bureaux. Dans la foulée de cet incident, les employés du CRSM ont immédiatement déposé un refus de travailler en vertu du Code canadien du travail.

Actes d’insubordination et d’intimidation continus

Les enregistrements vidéo montrent qu’après l’abandon de poste, trois agents correctionnels ont entouré le gestionnaire correctionnel qui avait déverrouillé les portes des bureaux. Selon les témoignages, les agents correctionnels ont intimidé le gestionnaire en criant et en utilisant un langage agressif pour exprimer leur mécontentement envers les employés du CRSM qui refusaient de travailler après l’incident. Cette altercation a eu lieu devant des détenus, des employés du CRSM et d’autres agents correctionnels.

Le lendemain de l’abandon de poste, un groupe d’agents correctionnels assignés au CRSM ont poursuivi leurs protestations en forçant les employés du CRSM à traverser le secteur des détenus pour se rendre à leur lieu de travail. La direction est intervenue lorsqu’elle a été informée de la situation. La direction d’Archambault a confirmé aux enquêteurs que le passage sécuritaire habituel consiste à passer par le bureau des agents correctionnels, ce qui permet d’accéder au CRSM en toute sécurité, sans avoir à traverser les secteurs où se trouvent les détenus.

En réaction au refus de travailler déposé par les employés du CRSM à la suite de l’abandon de poste de l’agent correctionnel, les directions respectives d'Archambault et du CRSM a établi une nouvelle procédure permettant aux employés du CRSM d’avoir la clé de leur bureau. Un groupe d’agents correctionnels ont réagi à cette nouvelle procédure de la façon suivante :

  • Lorsque la nouvelle procédure a été présentée aux agents correctionnels et aux employés du CRSM par la direction d’Archambault et celle du CRSM, les agents correctionnels ont quitté la salle en guise de protestation et pour manifester leur solidarité envers une agente correctionnelle qui avait fait l’objet d’une réprimande verbale en raison de son comportement à l’égard de la psychologue.
  • Certains des agents correctionnels ont dit à la direction qu’ils allaient simplement « fermer leur porte » et laisser les intervenants « s’arranger ».

La direction d’Archambault a pris des mesures disciplinaires à l’égard de l’agent correctionnel qui a abandonné son poste, lui infligeant un jour de suspension et l’expulsant de l’équipe d’intervention d’urgence pour une certaine période. De plus, le SCC a préparé un plan d’action relatif à l’enjeu global de l’environnement de travail au CRSM. Néanmoins, d’autres incidents marqués par des écarts de comportements inacceptables par d’autres agents correctionnels se sont produits :

  • Une agente correctionnelle a, sans autorisation, modifié une note de service distribuée par la direction d’Archambault concernant à la procédure de recours à la force. Elle a ensuite affiché la note de service modifiée dans le bureau des agents correctionnels.
  • Certains agents correctionnels ont communiqué par courriel au sujet de leur opposition aux consignes de la direction. Un agent correctionnel a écrit ce qui suit : « Si comme moi vous en avez plein le […] de faire rire de vous, je vous invite à prendre vos propres décisions afin de ne pas mettre votre sécurité en danger. Personne ne le fera à votre place. »
  • Certains agents correctionnels travaillant au CRSM ont empêché les employés du CRSM d’administrer des médicaments et d’offrir d’autres services aux détenus en refusant d’ouvrir la porte des cellules. Lorsqu’un gestionnaire a ordonné aux agents correctionnels d’ouvrir les portes, ils ont refusé d’obtempérer. La preuve démontre que les gestes des agents correctionnels avaient pour but d’amener le gestionnaire à démissionner. Le gestionnaire est parti en congé de maladie le même jour.

La direction d’Archambault a rencontré les agents correctionnels impliqués dans ce dernier incident et les a avertis des conséquences d’une récidive. Aucune enquête n’a été lancée à l’égard de l’incident, et aucune mesure disciplinaire n’a été prise contre les agents correctionnels.

Comportement raciste

Un directeur adjoint des Opérations a été la cible de comportements racistes : un groupe d’agents correctionnels ont placé bien en vue une peluche évoquant un surnom méprisant attribué au directeur adjoint en raison de son ethnicité. Selon les témoins, la peluche était restée en place pendant quatre mois et avait fini par être retirée à la demande du directeur adjoint des Opérations.

Dénigrement d’employés du CRSM

L’enquête a révélé d’autres incidents de harcèlement visant le personnel du CRSM :

  • Certains agents correctionnels ont placé bien en vue un ourson en peluche illustrant leur dénigrement du travail des employés du CRSM.
  • Certains agents correctionnels ont fabriqué et affiché des bannières portant des messages discriminatoires qui dénigraient et ridiculisaient les détenus du CRSM aux prises avec des problèmes de santé mentale ainsi que le travail des employés du CRSM.

Aucun agent correctionnel n’a fait l’objet de mesures disciplinaires à l’égard de ces incidents. Cependant, après ces incidents, la direction d’Archambault a ordonné que toutes les mesures requises soient prises pour veiller à ce que les employés soient traités avec respect, et le président de la section locale du syndicat fut averti que des mesures correctives pourraient être prises contre les agents correctionnels si ce comportement se poursuivait. Malgré l’avertissement, l’ourson en peluche était toujours bien en vue lorsque les enquêteurs se sont rendus au CRSM pour examiner les lieux.

Mépris délibéré pour la vie, la santé et la sécurité d’une employée

Les directions respectives d’Archambault et du CRSM, ainsi que les agents correctionnels, savaient qu’une employée du CRSM souffrait d’une allergie aux fruits de mer potentiellement mortelle. Après que cette employée fut évacuée par ambulance à l’hôpital à deux occasions en raison de réactions allergiques, le Comité de santé et de sécurité au travail, de concert avec la direction d’Archambault et celle du CRSM, a interdit tous les fruits de mer au CRSM. Affichant un total mépris pour la vie, la santé et la sécurité de l’employée en question, plusieurs agents correctionnels au CRSM ont délibérément défié l’interdiction. L’enquête a révélé les incidents suivants :

  • Un groupe d’agents correctionnels ont enlevé à plusieurs reprises des affiches dans les locaux du CRSM qui visaient à rappeler aux employés de ne pas apporter des fruits de mer au travail. L’insubordination des agents correctionnels a pris des proportions telles que la direction a dû placer une affiche sous Plexiglas au moyen de vis spéciales pour empêcher que celle-ci ne soit enlevée.
  • Certains agents correctionnels ont protesté contre l’interdiction, faisant valoir qu’elle portait atteinte à leur « droit » de consommer des fruits de mer.
  • Un agent correctionnel a déclaré à la direction d’Archambault que personne ne pouvait lui « interdire de manger des crevettes » et que l’employée souffrant de problèmes de santé n’avait qu’à se faire soigner.
  • Un groupe d’agents correctionnels au CRSM ont organisé une « soirée sushi » au cours de laquelle des sushi avaient été placés sur les comptoirs pour que les employés puissent se servir. Lors de cette activité, un agent correctionnel a remis un masque à gaz à l’employée en question et lui a dit : « Tu mets ça ou tu crèves ce soir. » L’employée a quitté les lieux de travail par elle-même à titre préventif.
  • Certains agents correctionnels faisaient référence à l’employée en utilisant le sobriquet « petite crevette » et utilisaient d’autres surnoms méprisants.
  • Un agent correctionnel aurait dit à un témoin : « Je m’en […] qu’a crève de crevettes ».
  • À deux occasions, des fruits de mer ont été consommés sur place et les restes laissés dans les poubelles; par conséquent, l’employée a dû quitter les lieux du travail encore une fois à titre préventif.
  • Au printemps 2018, avec l’approbation de la direction d’Archambault, le comité social, qui comprend des agents correctionnels, a pris des dispositions en vue de la visite d’un « food truck » de fruits de mer sur le terrain du complexe de Sainte-Anne-des-Plaines. Même si le « food truck » de fruits de mer était à l’extérieur du CRSM, la direction d’Archambault n’a pris aucune mesure spéciale – au‑delà de l’interdiction, laquelle s’était avérée inefficace – pour empêcher qu’on apporte des fruits de mer à l’intérieur du CRSM.

Après tous ces incidents, la direction du CRSM a demandé à la direction d’Archambault d’établir une meilleure stratégie pour assurer la sécurité de l’employée, faute de quoi ils risquaient de « la perdre ».

De fait, l’employée a pris un congé de maladie peu après. L’employée était censée retourner au travail plusieurs mois plus tard, mais la direction du CRSM a affirmé aux enquêteurs ne pas être en mesure d’assurer la sécurité de cette employée et que toute tentative en ce sens avait échoué. L’employée a démissionné de la fonction publique.

Conclusion

Dans un milieu intrinsèquement dangereux, comme un pénitencier, et en particulier dans une installation accueillant des détenus qui présentent divers besoins en santé mentale, l’employeur doit se montrer encore plus vigilant pour assurer la sécurité de ses employés. La sécurité dans le CRSM est assurée par les agents correctionnels, et il est crucial que les employés puissent compter sur ceux-ci afin de travailler dans un environnement sécuritaire.

Le SCC a pris certaines mesures pour tenter de corriger les comportements inacceptables des agents correctionnels, notamment par la création, en mars 2018, d’un plan d’action comprenant plusieurs stratégies pour améliorer l’environnement de travail au CRSM. Malgré la mise en œuvre initiale du plan d’action, le SCC n’a toujours pas réussi à assurer un environnement de travail sécuritaire, et de graves incidents mettant à risque la sécurité des employés ont continué de se produire.

Il s’agissait de problèmes systémiques, et non d’incidents isolés, créés par un environnement de travail dans lequel un groupe d’agents correctionnels se sentaient libres de commettre des actes d’insubordination qui entraineraient peu ou pas de conséquences. Le SCC a porté atteinte aux droits des employés à un environnement de travail sécuritaire en négligeant de veiller à ce que les agents correctionnels s’acquittent de leurs fonctions. Au-delà des actes d’insubordination, le travail dans un environnement carcéral, étant déjà exigeant, l’est devenu encore plus en raison du harcèlement et du dénigrement continu d’employés.

Ces incidents, le comportement d’un groupe d’agents correctionnels et le manque de mesures adéquates de la part du SCC ont mené deux employées du CRSM à prendre un congé de maladie et à la démission de l’une des deux. L’intervention inadéquate du SCC a mené à une rupture de la relation de confiance entre les employés du CRSM et les agents correctionnels. Ceci a créé un risque considérable de conséquences négatives graves sur la capacité du CRSM de réaliser son mandat.

Par conséquent, je conclus que les manquements du SCC correspondent à un cas grave de mauvaise gestion au titre de l’alinéa 8c) de la Loi, en plus de créer un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité d’une personne au titre de l’alinéa 8d).

Recommandations du commissaire et réponse du Service correctionnel du Canada

Conformément à l’alinéa 22h) de la Loi, j’ai soumis les recommandations suivantes à Mme Anne Kelly, commissaire du SCC, relativement aux mesures correctives. Je suis satisfait de la réponse de la commissaire à mes recommandations et des mesures prises jusqu’à maintenant à l’égard des actes répréhensibles abordés dans le présent rapport. Selon ma pratique habituelle, je demanderai un compte rendu sur les actions prises par le SCC en réponse à mes recommandations dans les six prochains mois.

Voici mes recommandations ainsi que la réponse du SCC.

Je recommande que le SCC considère de prendre des mesures disciplinaires individuelles et des mesures correctives relativement aux incidents graves décrits ci-haut.

Le Service correctionnel du Canada (SCC) examine actuellement les renseignements soumis par le Commissariat à l’intégrité du secteur public, et prendra les mesures disciplinaires et/ou correctives appropriées en vue de répondre aux problèmes cernés.

Je recommande que le SCC examine les processus disciplinaires suivis par la direction de l’Établissement Archambault relativement aux agents correctionnels qui travaillent au CRSM afin de s’assurer que dorénavant l’application des mesures disciplinaires soit uniforme et efficace. De plus, je recommande que le SCC considère mener un examen comparable à l’échelle nationale.

Le SCC examinera les processus disciplinaires suivis par la direction de l’Établissement Archambault afin de s’assurer que dorénavant l’application des mesures disciplinaires soit uniforme et efficace, et procédera à un examen comparable à l’échelle nationale.

Je recommande que le SCC élabore et offre, de façon continue, une formation destinée précisément aux agents correctionnels et aux gestionnaires qui travaillent dans un environnement multidisciplinaire, comme le CRSM, qui sert des détenus aux prises avec des problèmes de santé mentale. De plus, je recommande qu’une telle formation sur le Code de discipline du SCC et sur le Code de valeurs et d’éthique du secteur public leur soit aussi offerte.

À la suite des incidents de janvier 2018, le SCC a offert une gamme de formations et séances de sensibilisation aux agents correctionnels, aux autres membres du personnel et aux gestionnaires du Centre régional de santé mentale (CRSM) pour les outiller afin qu’ils travaillent de manière multidisciplinaire avec les détenus qui ont de graves problèmes de santé mentale. Le SCC continuera d’évaluer la nécessité d’une formation de recyclage.

En ce qui concerne la recommandation de formation continue sur le Code de discipline et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, tout le personnel du SCC est soumis à une formation obligatoire sur les thèmes suivants : valeurs et éthique; création d’un milieu de travail exempt de harcèlement; respect en milieu de travail; diversité et compétences culturelles; leadership éthique pour les gestionnaires.

Je recommande que le SCC, en consultation avec les employés et les agents négociateurs compétents, évalue la nécessité de lancer une initiative de bien‑être en milieu de travail dans le CRSM afin d’offrir un milieu de travail sain. Je recommande aussi, dans le cadre de cette initiative, que le SCC envisage de tendre la main aux anciens employés et aux employés actuels qui ont été affectés par les événements décrits dans le présent rapport afin de leur proposer du soutien et, si possible, des mesures de réparations.

Au printemps 2018, à la suite de séances avec le Bureau de gestion des conflits du SCC, la direction a élaboré, conjointement avec les représentants syndicaux locaux, un plan d’action visant à améliorer le bien-être en milieu de travail au CRSM. Pour soutenir ce plan et évaluer son efficacité, un consultant externe procédera à une évaluation du climat de travail. Le SCC continuera aussi à offrir du soutien aux employés actuels et aux anciens employés qui ont été affectés par les événements décrits dans ce rapport.

Autres commentaires du Service correctionnel du Canada

J’accepte toutes vos recommandations et j’estime que les recommandations proposées dans ce rapport nous aideront à améliorer la santé au travail et à accroître le bien-être des employés du SCC, et en particulier au CRSM. Toutefois, je suis préoccupée par votre conclusion selon laquelle le SCC aurait commis des actes répréhensibles dans cette affaire.

Tel qu’il est souligné dans votre rapport et dans les observations qui vous sont faites, la direction locale a procédé à de nombreuses interventions en vue de corriger les situations décrites dans votre rapport, y compris des approches de collaboration avec les partenaires syndicaux et le personnel, des avertissements au personnel impliqué dans les incidents, et finalement des mesures administratives et disciplinaires. Avec le recul, peut-être des actions plus fortes auraient pu être prises, mais je ne crois pas que l’on puisse parler d’actes répréhensibles commis par le SCC.

Cela dit, nous considérons vos recommandations comme des mesures constructives pour aider aux efforts importants qui sont déployés dans plusieurs domaines afin de s’assurer que le SCC est exempt de harcèlement, d’intimidation et de violence, et que des résultats clairs sont démontrés à l’échelle de l’organisation. Je vous assure que l’engagement et le leadership nécessaires à l’atteinte de ces objectifs sont maintenus, et que des initiatives et des mesures concrètes continueront à être mises en œuvre pour que les employés du SCC puissent bénéficier du milieu de travail sain, respectueux et positif qu’ils méritent. L’amélioration du bien-être au travail est une priorité pour le SCC, comme le démontre le lancement d’une campagne nationale pour un milieu de travail respectueux au début de 2018, qui propose un certain nombre d’initiatives visant à sensibiliser les employés à l’échelle de l’organisation, des activités visant à promouvoir le bien-être et des moyens permettant de signaler les comportements inappropriés.

Je suis très fière du professionnalisme et de l’excellent travail des employés et gestionnaires dévoués au SCC, et je suis très préoccupée par la conduite des employés auxquels on fait référence dans ce Rapport sur le cas. Les employés du SCC apportent tous une contribution importante qui assure la sécurité publique des Canadiens, et je m’engage à faire en sorte que le SCC s’acquitte de cette responsabilité avec le plus haut degré d’intégrité, de professionnalisme et d’excellence. Il s’ensuit que le harcèlement en milieu de travail et les autres formes d’inconduite sont inacceptables en toutes circonstances et n’ont pas leur place au sein du SCC.